Wassermusik, 1997 © Boris Gaberscik
Boris Gaberscik
Depuis 35 ans, Boris Gaberšcik A oublié la biologie étudiée à Ljubljana pour documenter le monde chaotique des objets dans la lumière immobile.
Les images qu’il assemble ne sont toutefois pas des collections de bazars de grenier, elles sont de l’ordre de l’architecture. Plus précisément, elles parlent des choses en les représentant comme des fictions d’architecture, dans des projections frontales abruptes ou, refusant la fuite, par des alias de vues axonométriques improbables.
Comme les calques de l’architecte, d’incertains plans diaphanes s’interposent parfois entre les objets sans livrer d’autre argument à l’image que l’incertitude des formes et des arêtes. La géométrie et ses concordances sensuelles, la peau des matières et leurs jeux parfaits sous la lumière unidirectionnelle aux aplats de noir, font surgir d’étranges échos de l’espace et du temps.
De Ljubljana ou Budapest à Buenos Aires, de Zagreb à Trieste, Graz ou Salzbourg, il est aujourd’hui le photographe slovène emblématique de cette exploration méticuleuse du réel, abusivement traduite en français par nature morte. Exposée ou présente dans les plus grands musées, son œuvre singulière se situe aux antipodes des lyrismes pictorialistes ou des confrontations drolatiques d’objets anachroniques. Elle déroule des mises en scènes dressées comme des rencontres de hasards non fortuits dans lesquelles se raconte l’étrange histoire de sa mémoire et de ses souvenirs.
Crucifixion, Hommage à JR Tintoretto, 1987 © Boris Gaberscik
Gaberšcik ne cesse de nous dire que la photographie n’est pas un meuble dans le vestibule de l’œil mais un objet de désir. Sous un alibi de mimétisme, elle nous emporte aux lieux des allusions et des illusions. Et si ses trésors de mémoires, collectionnés par lui pour cet insolite immobile, ne sont jamais commentés par le photographe, c’est justement pour ne pas dénaturer la force de la révolution silencieuse que les objets physiques proposent face aux chaos du monde.
Ces objets sont les rémanences du temps et de l’histoire des quotidiennetés perdues. Ils surgissent du magma mnémonique pour nous apporter un témoignage de la réalité et de son ordre face au chaos des éphémères de l’extérieur.
Pourtant, ne cherchez pas de métaphores cachées dans la rencontre fortuite des réalités instrumentales de ces objets, Gaberšcik affirme que ses photographies sont définitivement du domaine strict et concret du visuel. C’est de cet écart entre l’identification fonctionnelle et la réalité des ombres, des tonalités et de leurs contrastes, que son image capturée veut nous émouvoir. Résolument attentif à l’image comme matière signifiante, tout de sa consistance importe, le film argentique autant que l’illumination sur des papiers aux raffinements colorés.
Boris Gaberšcik nous présente une œuvre unique d’attention au monde, à la magie morte des choses réelles mais fictionnelles.
« Je me retire. Le monde est trop rapide pour moi et j’espère la nostalgie des photos pour soulager la douleur, la vitesse ou la cruauté ». Boris Gaberscik
Untitled, 1987 © Boris Gaberscik
Mirailia
Né en 1957 à Ljubljana, en Slovénie, Boris Gaberscik, biologiste de formation, s’initie à la photogra- phie au cours de ses études, sous l’influence de son entourage. C’est sans doute cette formation scientifique qui motive sa propension à répertorier systématiquement des objets. Une véritable collection conservée sous la forme de natures mortes photographiques en noir et blanc.
Ces objets, à la fois anodins et étranges (fleurs, boulons, boîtes, sachets vides, vaisselle...), glanés, collectionnés, composent un ensemble mystérieux qui pousse à s’interroger sur les raisons qui ont conduit le photographe à les mettre en scène. D’après le Dr Sarival Sosic, auteur et commissaire d’exposition Slovène, ces objets ont « joué un rôle particulier dans sa vie et évoquent des souvenirs ». Ainsi, Gaberscik se ferait l’architecte de ses souvenirs, agençant un mobilier intime et familier. Il invi- terait le spectateur à examiner des autoportraits morcelés, à explorer ses obsessions personnelles.
Black and White, 1989 © Boris Gaberscik
Cet ensemble, destiné à être montré, exposé, ou publié, évoque irrésistiblement les cabinets de curiosités qui firent la fierté des princes du XVIème siècle, ou plus précisément, les « Chambres des Merveilles » au sens où l’entend l’historienne et critique d’art, Patricia Falguières, c’est-à-dire une sélection de mirabilia, les « merveilles », les choses « mémorables », « tout ce qui à la lecture d’un texte, la plume à la main, fait saillie, est digne d’être noté, tout ce qui fait histoire ».
C’est ce qui « fait histoire » qui est ici rassemblé : photographies offertes au pèlerinage, chapelles ardentes dédiées à son Panthéon personnel : Josef Sudek, Edward Weston, Meret Oppenheim... Ce choix d’objets conservés dans la cave de l’artiste, attendant d’être réinventés, sont les reliques d’une vie qui s’écoule inexorablement alors qu’il cherche désespérément à en garder le contrôle. Car le contrôle est l’un des moteurs du travail de Gaberscik.
Visible zone, 2005 © Boris Gaberscik
Le contrôle de l’environnement dans lequel il photographie, tout d’abord. Son studio est un havre dans lequel la lumière est intégralement maîtrisée : tantôt caressante, tantôt tranchante et chirur- gicale. Les reflets, la profondeur des ombres, rien n’est laissé au hasard. Un tel soin apporté à la lumière monumentalise ces objets issus du quotidien. L’ombre des dents d’une fourchette d’argent appuyée sur un assemblage de cubes évoque les baies rythmant les façades d’un édifice roman. Cette même fourchette, relique du passé du photographe, intitulée Cathédrale, 2005, est ainsi à la fois contenant et contenu. Ces titres, par leur clarté comme par leur absence, sont également symptomatiques de la tentative de contrôle du photographe qui cherche à orienter notre imaginaire ou, au contraire, à le laisser libre.
Quant à cette colonie d’insectes grouillant dans un tube à essai (Life, 2007), elle est la métaphore parfaite d’un quotidien suffoquant à l’ombre des tours de béton. La vie fourmille dans ces grands ensembles, contraignant les occupants à vivre les uns sur les autres. Le traitement de cet objet, strictement perpendiculaire à la ligne d’horizon fermement dessinée, souligne l’architecture du tube.
Life, 2007 © Boris Gaberscik
Loin de cet espace clos et contrôlé, le monde extérieur apparaît flou, instable, irréel et presque menaçant. Dans Arcadia, 2005 ou Europe, 2006, plus de lignes définies, le cadrage est moins incisif, moins décidé, la perspective est écrasée. Ainsi, ce qui devrait nous apparaître grand, devient presque anecdotique.
« Tout se passe comme si le monde réel s’excusait d’être si décevant face à ces objets héroïquement dressés ». Boris Gaberscik
L’Amour A.S., 2007 © Boris Gaberscik
Photos et vignette © Boris Gaberscik